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Traité de libre-échange transatlantique

Une chance pour valoriser le « made in France » ?


Politique et syndicats le 30/07/2014 à 15:06
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Dans l’Union européenne, et en France en particulier, les négociations d’un futur accord de libre-échange transatlantique (Ttip) avec les Etats-Unis sont systématiquement abordées sous un angle défensif. Or, de sources diplomatiques, cet accord modifiera dans les deux sens le champ législatif et réglementaire des deux premières puissances économiques mondiales. Alors pourquoi ne pas voir dans le Ttip une opportunité pour l’UE de valoriser ses modèles de production et pour notre pays, une chance de promouvoir son "made in France" ?

Les négociations d’un traité de libre échange entre les Etats-Unis et l’Union Européenne (Transatlantic trade and investment partnership ou encore Ttip) sont redoutées avec, à travers elles, le spectre d’une mondialisation de l’agriculture européenne et française. Annonciatrice d’une succession de renoncements, la conclusion de ces pourparlers conduirait alors à l’abandon de certaines prérogatives et à un accroissement certain des distorsions sociales, fiscales et environnementales auxquelles le secteur agricole européen est contraint. Mais ces craintes réelles ne sont pas pour autant inéluctables et surestimées. Mais surtout, sans vouloir chercher à les minimiser, n’oublions pas que l’Union européenne est seulement engagée dans des négociations. Aucun accord commercial n’est encore à ce jour signé !

Selon des sources diplomatiques, sa conclusion pourrait en fait davantage profiter aux Européens puisqu’ils exportent déjà plus de produits vers les États-Unis que ces derniers n’en vendent à l’Europe (291 milliards de dollars en 2012 contre 206 milliards de dollars). Et les négociations entamées depuis 2013 entre la Commission européenne et les Etats-Unis, seraient alors une opportunité pour les accroître en faisant évoluer, dans certains domaines et en faveur de l’Union européenne, les législations en vigueur qui font actuellement obstacle.

En effet, les négociations du futur Ttip portent davantage sur ces normes et ces réglementations, comme par exemple les règles d’hygiène et de sécurité, le principe de précaution ou l’interdiction des organismes génétiquement modifiés (Ogm) que sur les taxes douanières, déjà faibles. Or, au cœur de débats houleux, ces normes sont même beaucoup plus contraignantes et protectrices à l’égard de la santé des individus en Europe que celles en vigueur aux Etats-Unis, ces derniers privilégiant surtout la rentabilité des entreprises et donc les dividendes versés à leurs actionnaires. L’Union européenne n’a donc aucune raison d’y renoncer car elles constituent même un avantage comparatif si les Etats-Unis sont contraints de s’y aligner.

Autrement dit, les négociations d’un futur accord entre les Etats-Unis et l’Union Européenne seraient une opportunité pour créer une synergie entre les deux premières puissances économiques de la planète en instaurant le principe de réciprocité dans les différents secteurs de leur économie actuellement protégés. Par exemple, l’accès des marchés publics américains à des entreprises françaises actuellement impossible.

L’industrie cosmétique est à ce jour, pour l’ensemble de la filière agricole et agroalimentaire, un cas d’école d’une mondialisation maîtrisée. Avec un solde commercial excédentaire de 8,5 milliards d’euros (le 3e après l’aéronautique et l’agriculture et l’agroalimentaire), l’image de la France est, à travers ce secteur de la beauté, mondialisée. Et c’est en position de force que ce dernier aborde, à son niveau, les négociations du futur Ttip. Son image du « made in France » est particulièrement prégnante et nous savons déjà que l’accord du Ttip conduira, à un processus de reconnaissance mutuelle des processus de normalisation. L’industrie de la beauté n’a pas à craindre que ces négociations aboutissent à des délocalisations, ce qui n’exclut pas, pour autant, des implantations d’entreprises dans les pays émergents afin d’être situé à proximité des consommateurs.

Ce modèle de mondialisation maîtrisée assis sur le « made in France » pourrait inspirer le secteur agricole et agroalimentaire. Et le futur Ttip constituerait même un élan pour définir des stratégies commerciales et de production à l’instar de l’industrie numérique.

L’objectif recherché ? Contrôler à chaque niveau de la production, la chaîne de la valeur ajoutée pour qu’elle ne soit pas diluée de part et d’autre de l’Atlantique. Mais aussi « pour en finir avec la mondialisation anonyme », comme le titre le rapport d’Yves Jégo, député. Il a été réalisé avec la collaboration de Serge Guillon (1) et a été remis en 2010 à Nicolas Sarkozy, alors président de la République.

Selon cet ancien secrétaire général du secrétariat général des affaires européennes (Sgae), « l’Organisation mondiale du commerce ne considère pas que le marquage obligatoire de l’origine constitue une entrave au commerce international ». C’est pourquoi « la plupart des grands concurrents et partenaires commerciaux de l’Union européenne (États-Unis, Japon, Chine, Canada etc.) ont même rendu obligatoire le marquage de l’origine des produits commercialisés sur leur sol — ou du moins de certaines familles de produits. C’est également le cas en Suisse où le renforcement du « swiss made » a fait l’objet d’un projet de loi actuellement en discussion », écrit alors l’auteur.

Autrement dit, « ces pays s’efforcent de promouvoir à l’étranger leur marque-pays en raison de l’atout commercial qu’elle représente. Le co-marquage (marque d’entreprise associée à une marque pays) y est très développé ».

« Alors pourquoi la France ne suivrait-elle pas l’exemple ? Notre pays serait ainsi mieux armé pour faire face à la concurrence ». Et l’ensemble des filières agricoles trouveraient alors toute leur place dans cette dynamique.

« Difficile à évaluer, la valeur de la marque France est cependant incontestable, en particulier dans le secteur agroalimentaire » défend Serge Guillon. « La preuve en est : l’affichage frauduleux par certaines entreprises du « Made in France » sur leurs produits afin de bénéficier de la plus-value qu’apporte ce marquage. D’autres entreprises, dont les produits sont fabriqués en Asie, préfèrent utiliser les symboles de la France (Tour Eiffel, coq, carte, mention « Paris » etc.) en considérant probablement que le risque est moindre par rapport à l’apposition d’un « Made in France » ».

Pour remédier à cette anomalie française et européenne, Yves Jégo fait « 10 propositions pour mettre la traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi ». Par exemple, « conduire une action d’influence en faveur d’un texte ou de textes européens rendant obligatoire le marquage de l’origine nationale de tous les produits mis en vente sur le marché communautaire ». Ou encore « Élaborer un « made in » facultatif à trois étoiles et mettre fin à l’interprétation au cas par cas de la Dgccrf ».

L’objectif de ce « Made in » facultatif viserait alors à « valoriser le made in France » en attribuant 1, 2 ou 3 étoiles aux biens commercialisés en fonction du pourcentage de la valeur ajoutée produite en France.

N.B : (1) ancien secrétaire général du secrétariat général des affaires européennes (Sgae) et contrôleur général économique et financier.