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Diversification des cultures

Déverrouiller le système agro-industriel en place


Grandes cultures le 15/01/2016 à 18:25
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La modernisation de l’agriculture s’est majoritairement basée sur la spécialisation des territoires autour d’un nombre restreint de productions. Pour les cultures, l’intensification des pratiques agricoles a conduit à la simplification des assolements et au raccourcissement des rotations. Pourtant, en plus des bénéfices agronomiques induits, la diversification des espèces cultivées constitue une sorte d’assurance récolte naturelle.

L’allongement de la rotation est cité comme levier d’action dans plusieurs problématiques : gestion du désherbage, préservation de la structure du sol, déplafonnement des rendements… ou encore réduction des nuisances environnementales liées à l’activité agricole. La diversification des cultures apparaît aussi comme une assurance face aux aléas climatiques comme économiques, en répartissant les risques et en multipliant les sources de revenus. Pourtant, sortir du schéma établi autour des quelques espèces majoritaires constituant la sole française expose à des complications, plus ou moins surmontables, et ce à plusieurs niveaux.

L’Inra s’est penché sur la question à la demande des ministères en charge de l’agriculture et de l’écologie. Jean-Marc Meynard et Antoine Messéan, directeurs de recherche à l’institut, ont coordonné ce travail(1). « Depuis une cinquantaine d’années, l’agriculture française connaît un mouvement continu et profond de spécialisation dont les impacts sont aujourd’hui bien connus : tensions sur l’eau en zones de monoculture de maïs irrigué, augmentation de la consommation d’énergie fossile et des émissions de gaz à effet de serre, liée à la quasi-disparition des légumineuses des assolements, accroissement de l’usage des pesticides du fait d’une plus grande difficulté à maîtriser adventices et parasites dans des rotations courtes et des assolements peu variés, diminution de la biodiversité consécutive à l’homogénéisation des habitats et à l’emploi fréquent de pesticides. Enfin, c’est maintenant acquis, le raccourcissement des rotations participe également au plafonnement des rendements des grandes cultures. »

Ces années de spécialisation ont permis à la production agricole de relever haut la main le défi de l’autonomie alimentaire. Mais elles ont créé « un verrouillage technologique autour d’espèces dominantes qui bloque, ou tout au moins handicape fortement, le développement des cultures mineures ». « Il est la conséquence d’un grand nombre de freins interconnectés : faiblesse de l’offre de variétés améliorées et de produits de protection, rareté des références technico-économiques, difficulté des apprentissages, jusqu’aux contraintes logistiques à la collecte et à la coordination insuffisante au sein des filières émergentes. »

Au niveau de l’exploitation, si l’agriculteur veut diversifier son assolement, il trouvera toujours une ou plusieurs cultures compatibles avec ses sols, son climat, son calendrier de travail et l’équipement mobilisable. Il peut par contre se heurter au manque de références technico-économiques relatives à leur insertion dans les successions. Sources d’appréhension pour les producteurs, les particularités de leur itinéraire technique peuvent ainsi freiner leur adoption. « Surtout que la phase d’apprentissage nécessite du temps, jusqu’à plusieurs campagnes, au cours desquelles il n’est pas rare d’atteindre un rendement inférieur aux attentes. Et, comme les espèces de diversification sont mal connues des techniciens eux-mêmes, la faible performance reste souvent inexpliquée, d’où un risque important de remise en question. Les enquêtes montrent qu’une production récemment introduite ne supporte pas plus d’un ou deux échecs sans explications. Sinon le rejet qui s’en suit peut durer plusieurs années. »

Pour ne pas aider, les espèces candidates à la diversification des assolements constituent de petits marchés, tant pour les sélectionneurs que pour l’industrie phytosanitaire, ce qui justifie des investissements en R&D beaucoup moins conséquents que sur les espèces majeures. « D’où, en partie, le décrochage des rendements du pois par rapport au blé ou les difficultés du lupin ou du pois chiche, dont les variétés disponibles en France sont insuffisamment résistantes à l’anthracnose. Et la recherche publique ne contrebalance plus la concentration du privé sur les espèces dominantes. De plus de cent espèces sélectionnées en 1975, l’Inra est passée à moins de dix en 2005. »

Concernant la collecte, il existe plusieurs limites logistiques à l’essor des cultures de diversification, comme la disponibilité en silos et la réticence à occuper du stockage avec de faibles volumes. Côté transformation, les acteurs cherchent à minimiser les coûts d’achat des matières premières et à standardiser les processus. « En alimentation animale, la formulation suit une logique s’appuyant sur la substituabilité des matières premières agricoles par rapport à leur composition nutritionnelle. Ainsi, les protéagineux sont confrontés à la concurrence sévère du couple tourteau de soja – blé, particulièrement pour les porcs et volailles, où le pois serait pourtant utilisable en grande quantité. Sachant que le prix d’intérêt d’une matière première dépend non seulement des cours de celle-ci, mais également de son accessibilité, c’est-à-dire des coûts liés à son acheminement, et de la régularité de l’approvisionnement. »

Tout chemin vers la diversification reposera donc nécessairement sur la mobilisation simultanée et organisée de nombreux intervenants. Au niveau de l’État, « une politique, qui ne contiendrait que des mesures adressées aux agriculteurs, est vouée à l’échec. En 2010-2011, grâce à la prime en faveur des protéagineux, les surfaces ont doublé. Mais elles se sont ensuite à nouveau effondrées parce que le reste de la filière n’a pas suivi. » C’est pourquoi l’intervention des pouvoirs publics doit être relayée par les mécanismes du marché. « Favoriser les cultures de diversification, c’est promouvoir de nouveaux débouchés. Et cela suppose que les produits se différencient des autres : qualité nutritionnelle, technologique, environnementale, etc. »

Les différents acteurs doivent se coordonner pour réduire les coûts de transaction supplémentaires (collecte, stockage, traçabilité, etc.) au départ, induits par l’éclatement de l’offre, et mener de front une stratégie de massification de la production. « Les contrats sont à privilégier, pour plus de lisibilité et de cohésion de l’amont à l’aval, et une meilleure transmission de la valeur ajoutée et des connaissances entre les maillons de la filière. » Les auteurs(1) préviennent enfin que « parce qu’elles s’appliquent à des processus à forte inertie, ces propositions ne pourront être suivies d’effets que grâce à des mesures mises en œuvre sur la durée et affichées comme tel dès le départ ».