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AOC GIGONDAS

La géologie comme vecteur de communication


Viticulture le 15/07/2017 à 10:00
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Depuis quinze ans, l’oenologue et géologue Georges Truc, inlassable, intarissable et très pédagogique ambassadeur des vignerons de Gigondas, propose de comprendre ce terroir des dentelles de Montmirail par ses différences géologiques subtiles. La réussite de l’appellation est au rendez-vous.

Avec sa mosaïque de géologies au pied des célèbres dentelles de Montmirail érigées sur la plaine rhodanienne, ses vignes en coteaux escarpés exposées tantôt sud-est, tantôt nord-ouest, le vignoble de Gigondas jouit d’une extraordinaire diversité de climats. Ils révèlent des différences gustatives aussi subtiles qu’intéressantes pour comprendre l’effet du terroir sur le goût du vin.

Mais encore faut-il que les vignerons en soient conscients… Il y a à peine plus de 20 ans, on parlait du gigondas, plutôt que des gigondas, « quand on ne le confondait pas avec le juliénas », ironise Pierre Amadieu, vigneron du cru. « Avant 1972, il y avait très peu de vignes dans la partie collines et montagne. Donc le gigondas classique, c’était un vin homogène. Il y a eu progressivement une conquête du relief, c’était le fait de vignerons audacieux et précurseurs. Comme Antonin Faravel qui au départ cultivait des lopins d’oliviers remplacés par la vigne là-haut, après les grandes gelées de 1956 », relate Georges Truc.

Depuis 1929, date des premières revendications d’appellation, les vignerons de Gigondas n’avaient pas vraiment pris le pli de proposer des sélections par type de géologie. « La tradition ici, ce n’est pas le lieu-dit, c’est l’assemblage, car le grenache est un cépage riche en alcool, facilement déséquilibrant. Et donc, la notion d’assemblage a tout son sens « , explique le président de l’appellation Louis Barruol. Qui compare à la Bourgogne où « la culture du lieu-dit a 400 ans ou plus. Nous, nous ne sommes devenus “cru” qu’en 1971.  » Une obtention de haute lutte ! Car l’Institut national des appellations d’origine (INAO), sous la férule du baron Le Roy, cofondateur en 1935 et président de 1947 à 1967, mais également vigneron dans l’appellation voisine à Châteauneuf-du-Pape, goûtait très peu l’idée de voir un jour le terroir de Gigondas obtenir le sésame de l’identité pour émerger des côtes du Rhône.

Dès la reconnaissance en cru, le mouvement s’est enclenché « vers des produits plus fruités, plus fins, plus élégants… en contraste avec les gigondas du plateau, plus charpentés et charnus, des vins plus solaires, sans ombre portée de l’aurore au crépuscule, mais qui se sont affinés avec la fin de la surextraction », explique Georges Truc. Le discours était cependant plutôt simpliste – « Gigondas des terroirs argilo-calcaires baignés de soleil » – alors que les 1 200 ha du vignoble reposent en réalité sur trois ères géologiques. C’est en 2002 que débute le renouveau de l’appellation. « La nouvelle génération décide alors d’axer sa communication sur un discours plus précis. »

« Nous nous sommes interrogés sur ce qui nous caractérisait : le paysage avec ses Dentelles, l’altitude, la fraîcheur de nos vins avec nos coteaux orientés en nord et en ouest. » En 2006, les vignerons décident de s’appuyer sur la carte géologique du terroir en s’adjoignant les services de Georges Truc. « Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre d’avoir un discours vague sur le terroir. Les gens veulent savoir et comprendre. Et avec Gigondas, on est obligé d’aller dans le détail », estime Pierre Amadieu. Mais, les détails en géologie, c’est compliqué ! « Il faut absolument faire acte de pédagogie, ce n’est pas facile , explique Georges Truc. Dans le prolongement des chaînons subalpins, sous la vigueur des mouvements tectoniques, notre aire se compose de deux blocs complètement différents : le relief et la plaine. » Au final, cinq ensembles ont été définis : les éboulis du quaternaire nourris par les reliefs des Dentelles, les terrasses quaternaires alluvionnaires de l’Ouvèze, un cône de déjection mis en place par un ruisseau provenant des Dentelles, des sables et grès tertiaires, et localement des marnes du crétacé. Petit à petit, les vignerons se sont appropriés cette géologie, d’autant que Georges Truc abonde en explications botaniques, faunistiques, particulièrement identitaires des lieux-dits, pour appuyer ses démonstrations sur la diversité des climats de Gigondas. Son discours suggère un lien entre la nourriture géochimique et les métabolismes biochimiques de synthèse enzymatique à l’oeuvre, et révélés par les arômes, les pigments : « Il faut savoir écouter ce que les plantes nous racontent », résume Georges Truc.

Et désormais ? « Il y a un environnement juridique favorable et un savoir géologique, avec une géologie tourmentée et diversifiée sur un périmètre extraordinairement réduit. Ça ne peut que donner envie d’explorer tout cela. C’est à présent une affaire de vigneron », explique Louis Barruol, l’actuel président de l’appellation Gigondas, qui souhaiterait aller plus loin : « On va réviser le cadastre, car des vignerons ont redécoupé des lieux-dits plus petits. Et il faudrait le formaliser sur le cadastre, pour que ce soit identifié par l’appellation. Et qu’ensuite on puisse le revendiquer sur l’étiquette. « Le président avoue une certaine frustration par rapport à des vignerons et une certaine « doxa de l’INAO » qui milite encore pour les assemblages. Mais aujourd’hui les jeunes sont très favorables au projet : « Avec le groupe des jeunes, nous ouvrons tous les mois une vingtaine de bouteilles », et le projet des terroirs mûrit peu à peu.