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« Ferme du futur »

Une ferme du « big data » en projet dans le Morbihan


Élevages bovins lait et viande le 12/09/2017 à 10:25

L'élevage de demain sera-t-il piloté par des modèles mathématiques, avec des vaches nourries au gramme près, soignées avant même de tomber malades et des éleveurs biberonnés aux nouvelles technologies, enchantés de pouvoir s'affranchir grâce à elles des tâches les plus ingrates ? C'est du moins le projet de « ferme du futur », en réalité un réseau d'« e-éleveurs », fermiers interconnectés, que nourrit l'entreprise Neovia, filiale du géant coopératif InVivo.

L’entreprise de Saint-Nolff (Morbihan), spécialisée dans la nutrition et la santé animale et qui expose au 31e salon international de l’élevage (Space) qui ouvre mardi, s’est lancée il y a un an dans un ambitieux projet de ferme expérimentale, programmée pour 2020. Imaginée comme une « vitrine des technologies les plus innovantes dans l’élevage », selon son PDG Hubert de Roquefeuil, elle aspire ni plus ni moins qu’à améliorer le bien-être de l’éleveur, le confort de l’animal et la productivité de la ferme, tout en réduisant son impact environnemental.

« Au 19e siècle, la France était positiviste et croyait dans la technologie. Aujourd’hui, on associe la technologie au risque. Or la technologie est sans doute une partie de la solution à la crise de l’élevage », explique le patron.

Point de départ du projet ? La collecte et l’agrégation des milliers de données disponibles en temps réel sur les porcs, volailles et ruminants grâce aux capteurs, colliers, caméras ou drones prévus pour étudier leurs comportements. Le croisement de ces données et leur modélisation détermineront ensuite les conduites à tenir. Un « pilotage fin et prédictif » des élevages, selon Neovia, qui envisage de commercialiser ces nouveaux services.

Pour l’agronome Marc Dufumier, les modèles mathématiques ne font cependant pas tout. « On l’a vu avec la vache folle, quand on avait découvert que les farines animales faisaient mieux l’affaire que certains acides aminés du soja », prévient-il.

Henri Isaac, président du think-tank « Renaissance numérique » qui a rédigé un rapport sur « les défis de l’agriculture connectée », salue lui une « agriculture de précision, indissociable de l’enjeu écologique ». « Agréger des données permet de limiter les intrants, les pesticides, de ne donner à l’animal que ce dont il a besoin pour éviter le gaspillage ou de détecter les signes annonciateurs de maladie afin de réduire les antibiotiques », précise-t-il.

Un œil qui coule, signe avant-coureur de fièvre ? L’information sera aussitôt télétransmise à l’éleveur sans qu’il n’ait besoin de scruter toutes ses bêtes. Une fois analysés, les paramètres météo peuvent aussi alerter sur des risques de crise sanitaire.

La « ferme du futur », une mine de données qui ne demandent qu’à être exploitées ? Dans un secteur fortement soumis aux aléas climatiques, l’idée semble séduisante. « Nous avons des capacités d’anticipation beaucoup plus élevées qu’avant à des coûts bien plus réduits, mais encore faut-il pouvoir interpréter les données », nuance Henri Isaac. De fait, l’abondance de données ne met pas toujours « à l’abri des erreurs d’interprétation », estime Annick Audiot, chercheuse à l’Inra.

Pour attirer les bonnes idées, Neovia a lancé en mai un « appel à solutions ». Bâtiments ergonomiques connectés, robots, mais aussi tests de régimes nutritionnels pour animaux… Au total, le projet mobilisera plusieurs millions d’euros. Une ferme sera construite dans le Morbihan et fonctionnera en réseau avec les 11 autres du groupe dans le monde. « On aimerait construire un bâtiment avec des architectes, des gens qui font de la robotique », explique Hubert de Roquefeuil. L’idée étant aussi de soulager l’éleveur des tâches les plus harassantes pour « qu’il retrouve du plaisir à travailler ». A la clé, des « e-éleveurs » en partie postés derrière des écrans.

Un bouleversement des pratiques qui, par-delà l’aspect financier, n’est pas totalement anodin, selon Annick Audiot, pour qui la relation homme-animal reste « fondatrice du métier d’éleveur ». « Si capteurs et algorithmes représentent une aide au diagnostic (…) il y a fort à parier qu’elles ne pourront complètement remplacer le travail humain », estime-t-elle.