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Agromatériaux dans le bâtiment

Et si vous offriez à votre paille une plus longue destinée ?


Grandes cultures le 24/11/2017 à 18:25
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Dix millénaires d’agriculture, et on n’a toujours pas trouvé la formule pour changer la paille en or. En mur, en revanche, si. Valoriser sa paille dans une filière de construction qui a le vent en poupe, pourquoi pas. Deux agriculteurs partagent leur expérience sur cette activité, complémentaire mais prenante.

Construire sa maison avec de la paille. Ce n’est pas seulement l’idée farfelue du plus simplet des trois petits cochons. En France, l’emploi de paille en construction, que ce soit pour l’isolation ou en tant que mur porteur, fait de plus en plus d’adeptes. Mairies, maisons, écoles… : peu à peu, la paille s’invite partout. Et le loup peut toujours souffler, les bâtisses tiennent la route. Notamment parce que les agriculteurs réalisent des ballots de paille spécifiques pour cet usage. Une petite centaine se sont lancés dans l’Hexagone. Un nombre assez faible « mais qui prend en compte uniquement ceux recensés dans le Réseau France Construction Paille (RFCP), précise Nicolas Rabuel, animateur de Résonance Paille, l’antenne du RFCP en Nouvelle-Aquitaine. Il faut considérer qu’ils sont en réalité entre 200 et 300. »

« Dans la région, nous avons pour le moment deux ou trois producteurs par département », estime-t-il. Un chiffre qu’il va falloir vite revoir à la hausse. « Avec l’arrivée de la nouvelle réglementation thermique en 2020, l’engouement pour la paille est de plus en plus fort. » Elle vise notamment à diminuer l’impact écologique des bâtiments en misant sur les énergies vertes. Or, outre ses qualités indéniables en termes d’isolant (durabilité, confort en été et en hiver…), la paille a un bilan carbone très bas, encore plus lorsqu’elle est issue de l’agriculture biologique. Une candidate idéale pour les constructions de demain.

Marien Sablery, installé à Evaux-les-Bains (Creuse), et Patrick Dufour, à Saint-Junien (Haute-Vienne), ont tous deux choisi cette filière d’avenir. Le premier cultive sur 80 ha du blé, du seigle et du sarrasin pour la meunerie et du chanvre, du tournesol et un peu de cameline, transformés en huiles en pression à froid. Depuis 2015, sur les 15 à 20 ha de seigle, trois à quatre fournissent chaque année de la paille pour la construction, soit entre 700 et 1 400 bottes. « C’est l’équivalent d’une maison », résume le jeune agriculteur. « Je stocke et vends au fur et à mesure que la demande arrive. » Le nombre de bottes peut surprendre comparé au nombre d’hectares. Mais cela s’explique par leur petit gabarit : 80 x 30 x 40 cm ou 80 x 36 x 46 cm.

De son côté, Patrick Dufour sème 50 ha de céréales. Pour la première fois cette année, il a valorisé les ballots issus de 5 ha de blé pour le bâtiment. L’agriculteur en a tiré 1 360 bottes, ensuite, exposées et vendues lors d’un salon. Le blé est davantage employé en construction que le seigle. Toutefois, il n’existe pas de réelle différence entre ces deux matériaux. De nombreuses autres pailles sont aussi utilisées : froment, orge, sorgho, riz…

Le cahier des charges du RFCP est relativement simple quant à la confection des ballots. Ils doivent être bien formés, avec des faces planes et régulières, et respecter deux normes : une densité comprise entre 80 et 120 kg/m3 et une humidité inférieure à 20 %. Pour répondre à ces exigences, Marien Sablery et Patrick Dufour ont chacun leur stratégie.

Classiquement, les petites bottes sont pressées au champ, au moment de la moisson. C’est ce qu’a fait Patrick Dufour cette année. « J’ai serré au maximum l’écartement des déflecteurs à l’arrière de la moissonneuse pour avoir des andains aussi minces que possible, puis je suis passé avec la presse, lentement, afin qu’elle soit alimentée de façon homogène. Pour faire descendre le taux d’humidité, j’attends normalement au moins une journée que l’andain soit bien sec. » Le retourner permet de l’aérer et de parfaire le séchage. « Il faut également surveiller le développement des adventices, surtout en bio », fait remarquer Patrick Dufour. En trop grand nombre, elles augmenteront le temps de séchage de la paille. Et la météo peut tout chambouler. « Le risque d’orage m’a contraint à presser les andains le soir même. Par chance, il faisait très chaud : j’ai pu passer trois heures après la batteuse. »

Marien Sablery préfère, lui, étaler le travail. Il commence par des balles rondes, les stocke et les transforme plus tard en petits ballots. Une démarche plus contraignante et chronophage mais qui le soulage de la contrainte météo en mettant plus vite la paille à l’abri. Marien Sablery défait les balles rondes avec une dérouleuse, qu’il a modifiée pour qu’elle secoue la paille et lui redonne du volume. Celle-ci pénètre ensuite directement dans une petite presse qui forme les ballots. Une balle ronde produit entre 18 et 20 bottes. « L’idéal serait de refaire l’andain pour que les ballots soient plus homogènes », admet l’agriculteur. Ainsi, la densité est sa principale contrainte, alors que c’est l’humidité pour Patrick Dufour. Or, à destination de murs porteurs, les ballots doivent être exemplaires sur ce point. La technique de Marien Sablery n’est donc envisageable que pour de l’isolation.

Dernière étape : la mise en palettes, manuelle. Elles sont ensuite envoyées en circuit court directement au commanditaire, généralement le propriétaire de la future bâtisse. Le client contrôle lui-même les bottes. « Une relation de confiance s’établit », souligne Marien Sablery. Même s’il reconnaît que cela peut donner l’impression d’un manque de professionnalisme. C’est d’ailleurs pourquoi, puisque que la filière paille se développe, le RFCP veut améliorer les contrôles et mieux encadrer la production.

Patrick Dufour et Marien Sablery vendent leurs ballots 2,50 € HT l’unité. « C’est plus rentable que de broyer la paille et de la laisser sur les sols. Cela amène une petite marge. La motivation est cependant plus éthique que financière », confie Patrick Dufour. En effet, ce choix s’inscrit surtout dans une démarche d’économie locale, de développement durable et de transition écologique. « Voir un produit agricole devenir un matériau de construction, c’est plutôt satisfaisant », ajoute Marien Sablery.