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Réforme de la fiscalité agricole

Gestion des aléas, « IS agricole » : les mesures défendues par la profession


Politique et syndicats le 15/02/2018 à 20:57
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Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et son homologue à l’agriculture Stéphane Travert lancent vendredi 16 février 2018 le chantier « fiscalité agricole » promis par Emmanuel Macron. Les deux ministres souhaitent une concertation entre les représentants de la profession, ceux de l’administration fiscale et les parlementaires pour concrétiser, d’ici fin juin 2018, une réforme de la fiscalité agricole permettant une meilleure gestion des risques.

Vendredi 16 février 2018, le ministre de l’économie Bruno Le Maire, avec le ministre de l’agriculture Stéphane Travert, lancent officiellement le chantier « fiscalité agricole », en présence des représentants agricoles, d’une vingtaine de parlementaires et de représentants de l’administration fiscale.

Sur la forme, à l’instar des Etats généraux de l’alimentation, cette réunion de lancement sera suivie de réunions de concertation entre tous les acteurs, pendant une période de quatre mois. Objectif : sceller des mesures réformatrices de la fiscalité applicable aux agriculteurs d’ici fin juin 2018, pour qu’elles soient intégrées au projet de loi de finances 2019.

« La méthode n’est pas nouvelle », explique-t-on à la FNSEA. Il s’agit de mettre tout le monde autour de la table, pour que les mesures du projet de loi soient suffisamment solides pour ne pas être trop amendées lors du débat parlementaire cet automne. Ceci dit, les représentants syndicaux s’étonnent déjà de la précipitation du rendez-vous. « Nous n’avons reçu l’invitation que mardi dernier. Pour une réunion se déroulant un vendredi, jour où les agriculteurs responsables syndicaux sont habituellement rentrés chez eux pour travailler sur leur exploitation, le délai est un peu court pour anticiper », ont expliqué, tour à tour, trois représentants syndicaux contactés.

Sur le fond, plusieurs revendications sont sur la table pour à la fois simplifier la fiscalité agricole, la rendre plus juste et surtout en faire un outil de gestion des risques plus efficace.

Deux propositions se dégagent : une refonte totale de la dotation pour aléas pour en faire un outil efficace d’aide à la gestion des risques, et l’instauration d’un « impôt sur les sociétés agricoles » adapté aux spécificités du secteur.

La FNSEA, JA, la Coordination rurale et la Confédération paysanne sont d’accord sur un point : il faut « réformer de fond en comble la DPA » (Dotation pour aléas). Car la DPA est « si complexe que les conseillers comptables ne la proposent quasiment jamais à leur client », explique-t-on à la FNSEA. « Il faut créer un système allant plus loin que la DPA, un vrai fonds de mise en réserve », explique Aurélien Clavel, de Jeunes agriculteurs, pour « permettre de lisser les revenus » et ainsi aider les exploitations à mieux gérer la volatilité grâce à la constitution d’une épargne de précaution lors des « bonnes années ».

Concrètement, la DPA était limitée à 27 000 € par période de 12 mois. La FNSEA souhaiterait remplacer ce plafond fixe par un plafond évolutif de « 20 000 € + 30 % du chiffre d’affaires » permettant de tenir compte de la taille de l’exploitation. Le syndicat majoritaire souhaite une obligation d’épargner limitée à 50 % des sommes déduites. Pour les éleveurs, il s’agirait de maintenir la possibilité d’épargner en fourrages, par une augmentation du stock sur l’exploitation.

De son côté, la Coordination rurale ne veut pas d’obligation de mise en réserve, et plaide pour la plus grande souplesse quant aux possibilités de réintégration des dotations, dans leur montant et leur moment.

Autre possibilité pour lisser davantage les résultats, et donc la fiscalité : octroyer la liberté de reporter, ou d’avancer, une annuité d’amortissement, à l’instar de ce que proposent déjà certaines banques dans leurs offres de prêts bancaires pour les agriculteurs. « C’est une mesure peu coûteuse pour l’Etat qui permettrait de gérer les résultats avec une plus grande souplesse », explique Jean-Louis Chandelier, directeur du « département de l’Entreprise et des Territoires » à la FNSEA.

Ceci dit, « encore faut-il que le résultat le permette », nuance-t-il. Un point sur lequel Jacques Pasquier, de la Confédération paysanne, insiste : « La fiscalité n’a jamais permis de faire gagner du revenu à quelqu’un. Par contre, la fiscalité peut offrir des avantages à ceux qui en ont beaucoup par rapport à ceux qui n’en dégagent pas. »

Deuxième point de revendication : l’instauration d’un impôt sur les sociétés adapté au secteur agricole. Une telle mesure nécessiterait de lever de nombreux freins et contraintes.

Il faudrait d’abord supprimer le caractère irrévocable du choix de cette imposition. « Lorsque un agriculteur étudie cette possibilité, le caractère irrévocable de son choix le dissuade souvent de franchir le cap », explique Jean-Louis Chandelier. Passer à l’IS, c’est aussi devoir évaluer tous les biens utilisés comme outil de production comme une immobilisation. « Inscrire des vaches laitières en capital immobilisé ou évaluer les cultures sur pied au coût de revient à la date de clôture du bilan, c’est d’un point de vue comptable, beaucoup trop lourd en agriculture. » Comme à l’impôt sur le revenu, il faudrait que les animaux concernés et les cultures puissent rester inscrits en stock, et que des méthodes d’évaluation avec des coûts standards puissent s’appliquer. « Il faudrait bénéficier d’une gestion particulière des stocks », confirme Aurélien Clavel, de Jeunes agriculteurs.

Passer à l’IS, c’est aussi renoncer à l’exonération des plus-values professionnelles, applicable lorsqu’on est imposé à l’impôt sur le revenu. Mais pour JA, « il faut tenir compte de la faible rentabilité du secteur agricole ». « Il faudrait reprendre les mêmes seuils appliqués à l’IR », poursuit la FNSEA. Le syndicat sait que Bercy n’acceptera pas de créer un impôt spécifique pour le seul secteur agricole. « D’autres secteurs pourraient légitimement réclamer les mêmes particularités ». La parade proposée par la FNSEA serait d’appliquer un critère de niveau d’immobilisations. « Cet IS pourrait être choisi par n’importe quelle TPE sous réserve d’un certain montant d’actifs immobilisés. » Le secteur agricole est l’un des seuls à avoir une si faible rentabilité pour un niveau d’immobilisations si élevé. Les spécificités mises en place concerneraient, de fait, uniquement les exploitations agricoles.

Lorsqu’il était au ministère de l’économie et des finances, Emmanuel Macron avait mis en place le « suramortissement exceptionnel de 40 % ». La mesure mise en place en avril 2015 a pris fin en début d’année 2017. Cette incitation fiscale à investir divise : La Coordination rurale est le seul syndicat à demander sa reconduction. « Cette reconduction permettrait de favoriser la réalisation d’investissements, notamment pour le renouvellement du matériel. »

Pour les autres syndicats, la mesure n’est plus dans l’air du temps. « Inciter fiscalement à surinvestir pour payer moins d’impôts et de cotisations, ce n’est pas résilient », estime Jeunes agriculteurs. Même avis à la FNSEA : « nous ne souhaitons pas ce type de fiscalité. »

La Confédération paysanne a une position encore plus tranchée. « Le suramortissement Macron a été la mesure la plus caricaturale. Les incitations fiscales à l’investissement contribuent à la dégradation de la situation financière des exploitations agricoles. En impactant l’assiette des cotisations sociales, elles impactent aussi négativement le principe de solidarité nationale. » Le syndicat plaide, au contraire, pour une fiscalité incitative à l’emploi.

En matière de solidarité nationale, la Coordination rurale rappelle sa revendication première sur le sujet : instaurer une « TVA sociale » pour « sauver la protection sociale agricole », en « éliminant les charges sociales pesant sur les salaires » compensée par une TVA applicable à tous les produits agricoles, d’origine française ou importés. Une mesure qui, sur le papier, réduirait les écarts de compétitivité.

Au lieu d’inciter fiscalement à investir, orientations maintes fois renouvelées en agriculture, la réforme fiscale annoncée ne devrait-elle pas faciliter l’installation et une transmission des exploitations rendue de plus en plus difficile ? Jeunes agriculteurs plaide pour un mécanisme d’exonérations en cas de rachat de parts sociétaires. La FNSEA suggère notamment un relèvement de l’abattement appliqué lors des cessions de terres louées par bail à long terme. L’abattement actuel fixé à 100 000 € date des années 70, tout comme les bases de calcul de l’assiette de la taxe sur le foncier non bâti. « Il faut soit supprimer la TFNB, soit en réviser le mode de calcul », résume Jacques Pasquier.

Dans tous les cas, il ne s’agira pas seulement de « dépoussiérer » des mesures, seuils ou plafonds devenus inadaptés à la réalité économique du moment. L’enjeu est aussi, et surtout, de « simplifier ». La tâche s’annonce, justement, loin d’être simple. Ceci dit, c’est bien sous Emmanuel Macron aux manettes de « Bercy » que la réforme du régime du forfait a été menée pour instaurer le « micro-BA ». Une réforme qui avait été plutôt bien accueillie par la profession.