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Trois questions à Jean-Marc Landry

Il va falloir apprendre à coexister avec le loup


Économie et gestion le 20/02/2018 à 14:50

Il faut « mettre de la science derrière l'émotion » : la cohabitation du loup et de l'éleveur sera possible si l'on apprend à mieux cerner ce prédateur ancré dans notre imaginaire mais très mal connu, estime le biologiste et éthologue suisse Jean-Marc Landry, spécialiste du loup.

Comment expliquer l’expansion du loup ?

« Ce phénomène est normal, car le loup a une capacité de dispersion énorme. L’espèce est organisée en cellules familiales, dont les jeunes vont, une fois à taille adulte, coloniser des territoires en parcourant souvent de grandes distances. On peut donc potentiellement trouver le loup n’importe où en France, et en Europe puisque certaines dispersions atteignent 2 000 km. En France on parle de 15 à 25 % de croissance annuelle. Avec plus de 90 meutes, l’arc alpin commence à être bien colonisé, aussi bien en France, en Italie qu’en Suisse. Le plan loup (français) dit : « on va freiner l’expansion du loup dans les endroits où on a du mal à gérer sa présence ». Mais tout le monde s’interroge sur le comment. Aujourd’hui se pose le problème de son arrivée dans le Massif central, où se trouve le gros de l’élevage ovin français et où tout le monde se demande « que va-t-on faire ? » Il faut aider ces éleveurs à se préparer, ne pas attendre et anticiper ».

Le loup est-il utile ?

« Certes, on s’est très bien débrouillés sans lui. (Mais) d’un point de vue philosophique, nous homo sapiens qui avons colonisé tous les milieux, devons laisser de la place aux autres. Sur le plan mondial, la situation du loup n’est d’ailleurs pas la meilleure : ils sont environ 240 000 – quand la Suisse comptabilise 500 000 chiens ! On réalise aussi que le loup, à moyen et long terme, contribue à régénérer les forêts en réduisant la densité de cerfs, sources de dommages. Il pourrait réguler la population d’ongulés réservoirs de bactéries responsables de maladies comme Lyme. A Yellowstone, une étude a démontré que sa présence avait eu une cascade d’effets positifs : régénération des buissons en bord de rivières, stabilisation des cours d’eau, retour des oiseaux et des castors… Enfin, il a une autre utilité : depuis son retour, on n’a jamais autant parlé du pastoralisme – fragilisé de longue date, passé de 30 millions d’ovins dans les années 1900 à 7 millions. Le loup est un révélateur des problèmes que rencontre le monde paysan face à la mondialisation et au choix des consommateurs ».

Homme et loup peuvent-ils cohabiter ? 

« Nous ne sommes pas dans une impasse, même si des lobbies, des syndicats agricoles, voudraient le faire croire. La question n’est plus de savoir si on veut du loup ou non : il est là. Il faut imaginer une troisième voie et nous pourrons trouver des solutions de coexistence. D’abord donner les moyens aux éleveurs de travailler : améliorer les moyens de protection existants (sélection de chiens, clôtures…), inventer des outils (colliers répulsifs…), voir s’il est possible d’adapter les conduites des troupeaux. D’après nos observations des interactions loup-troupeau-chiens, il faudra probablement élargir le périmètre de protection. Demain, usagers de la montagne, nous serons donc tous concernés. Les tirs, eux, doivent être à effet immédiat, pour sortir l’éleveur d’une situation intolérable. En revanche, les tirs aléatoires actuels ne semblent pas donner les résultats escomptés. Ne faisons pas n’importe quoi ! Par exemple, la déstructuration d’une meute peut potentiellement accélérer sa croissance démographique. Il faudrait comprendre quels sont les individus à problèmes, comment se fait l’interaction avec les chiens, ce qui leur apprend à avoir peur. La protection est quelque chose de complexe, il faut mettre de la science derrière l’émotion et se détourner d’un imaginaire qui remonte au Moyen-Age. A l’époque 95 %, de la population était paysanne ! Le loup du passé a été exterminé, il nous faut comprendre ce nouveau loup ».