Accéder au contenu principal
Vin, veau, resto

Les frères Abbatucci, success-story de la gastronomie


AFP le 04/10/2018 à 13:55

Jacques élève des « veaux tigrés », une race corse dont il a déposé la marque. Jean-Charles gère le domaine viticole Comte Abbatucci, très prisé aux États-Unis, et Henri sert leurs productions dans son restaurant : itinéraire d'une réussite gastronomique familiale corse.

« On est des combattants pour la nature, pour essayer d’améliorer le monde et de transmettre quelque chose qui ne soit simplement pas honteux pour les générations futures », résume à l’AFP Jean-Charles Abbatucci, 55 ans, vigneron converti au bio et à la biodynamie depuis 2000. Son aîné d’un an et demi, Jacques confirme : « mon but est d’avoir un bilan carbone négatif sur mon exploitation » de 320 vaches Zaïnata, à la robe bringée.

Choisi par Alain Ducasse pour figurer parmi ses histoires incarnées des viandes et volailles d’exception, Jacques Abbatucci veut « aller plus loin que le bio » et travaille à « une économie circulaire rurale », respectueuse de l’environnement. « Il faut montrer que ça marche », répète ce passionné qui fourmille de projets : autonomie énergétique pour la ferme, géolocalisation des bêtes, maroquinerie, création d’un abattoir fermier avec retraitement total des bêtes et désinfection écologique… Faute de cet abattoir, celui qui est courtisé par des restaurateurs américains ou hong-kongais ne peut pas exporter ses veaux vendus actuellement en Corse (50 %) et sur le continent (50 %).

Cépages presque oubliés

C’est dans la vallée du Taravo, entre Ajaccio et Propriano (Corse-du-Sud), que sont installés ces descendants d’une vieille famille corse qui a compté dans ses rangs un ministre de Napoléon III et nombre d’hommes politiques, magistrats et généraux. Des ancêtres prestigieux qui obligent les trois frères, tous autodidactes : « il faut qu’on soit digne du nom, dans chacune de nos branches, on essaie d’être des locomotives, des exemples », glisse Henri, 46 ans, le benjamin, chef de son restaurant, « Le Frère », posé en pleine nature, à Casalabriva, ouvert d’avril à septembre, et couronné depuis six ans de deux toques au Gault et Millau.

S’il est fier de ses tripes à la clémentine ou de son bœuf tigré au citron et à la népita (plante aromatique), Henri n’a pas toujours été aux fourneaux. Pendant quinze ans, il a été pilote d’hélicoptère de combat dans les forces spéciales. Passionné de cuisine depuis l’enfance, il explique à l’AFP « appliquer les méthodes militaires à la cuisine : un chef, une brigade, un coup de feu ! J’ai des check-lists pour chacune de mes préparations ».

« Il met en musique nos productions », ajoute Jean-Charles, qui lui fournit ses douze références de vin en blanc, rouge et rosé, tous issus de cépages autochtones corses. Sciacarello, Nielluccio, Carcajolo Nero, Morescola, Aleatico…Dix-huit cépages presque oubliés que ce féru d’agriculture historique – pré XXe siècle – a fait renaître en se fondant sur des travaux de son père. Une originalité qui lui a ouvert les portes en 2015 de l’Académie du vin de France, institution créée en 1933 où il est l’unique vigneron corse parmi les 35 Immortels.

Bach aux vignes

« Une récompense extraordinaire et la reconnaissance de la Corse comme une vraie région viticole », se souvient le vigneron dont les breuvages se vendent à 20 % en Corse, 20 % sur le continent et 60 % à l’export dont la moitié aux États-Unis. « Les vins Abbatucci sont faciles à apprécier, très expressifs mais pas agressifs. Il n’y en a jamais assez pour mes clients », confie à l’AFP Kermit Lynch, célèbre importateur américain de vins qui a fait découvrir le domaine aux États-Unis. « En Corse, huit ou dix vignerons sortent du lot et Abbatucci est dans ce top ». La Corse que le vigneron défend de New York à Oslo mais qu’il ne peut pas inscrire sur ses étiquettes. Ses nectars sont en effet produits en « Vins de France », la désignation des vins sans appellation, parce que « mes vieux cépages n’étaient pas autorisés dans les appellations ».

Qu’importe, Jean-Charles mène son domaine à sa guise en suivant ses instincts : biodynamie, respect des cycles lunaires, traitement des vignes à l’eau de mer, greffage, surgreffage et … musique! Il a ainsi convié en septembre pour les vendanges Bertrand Cervera, premier violon de l’orchestre national de France pour jouer du Bach à ses vignes. « Elles ressentent la musique. Le but est de donner un côté vibratoire à mes vins, ça n’engage que moi, je ne fais rien de mal », confie, malicieux, Jean-Charles qui ne craint pas de passer pour un original.